La communication opérationnelle est-elle une fonction opérationnelle ou juste des fariboles ?
« La communication est une science difficile. Ce n'est pas
une science exacte. Ça s'apprend et ça se cultive. »
Jean-Luc Lagardère [1]
« La communication requiert 25 % du temps du dirigeant. »
Chester Barnard [2]
Au sein de l’institution militaire, la communication est un
mode d’expression et de diffusion de l’information. Elle s’est longtemps
entendue comme une action du commandement visant à transmettre des informations
éclairées, contrôlées et dirigées par l’autorité vers des destinataires ciblés.
Elle est donc de la responsabilité directe du commandement
en vue de gérer aussi l’information engendrée par l’action d’un soldat, du
commandement ou des forces armées.
De nos jours on assiste à un véritable pouvoir des médias et
par effet de loupe, la mort d’un seul homme, aussi regrettable qu’elle soit,
prend parfois une dimension véritablement déstabilisante pour une entreprise,
une hiérarchie militaire ou un gouvernement.
Compte tenu de la profusion des médias et des techniques et
des outils de communication, l’entité militaire s’est vue, dans certains pays,
prendre en compte, de manière structurée, ces faits nouveaux, à chaque niveau,
du plus élaboré au plus modeste, à chaque étape de toute manœuvre opérationnelle.
La pertinence de cette nouvelle donne dans une société de
technologies de l’information et de la communication (TIC), est illustrée par
la citation du chercheur Pascale Combelles-Siegel : « Si la manœuvre
opérationnelle reste toujours nécessaire, elle n'est plus une condition
suffisante de la victoire [3]. »
Force est de constater aujourd'hui, le succès des conflits
militaires ne dépend plus uniquement de l’aguerrissement, de l’abnégation et du
courage des hommes et de la qualité des moyens engagés, mais aussi de la
capacité des stratèges de ces belligérances à contrôler l’environnement ou se
déroulera, ou se déroule et ou s’est déroulé l’affrontement conflictuel.
A cet effet, la
communication dans l’armée, se résume, d’une manière basique, en un processus de
transmission de l’information, quels que soient sa nature et son support, d’un
émetteur vers un récepteur dans le but de le mettre dans un certain état
d’esprit ou dans des dispositions voulues, d’une manière contrôlée ou
incontrôlée.
Elle s’érige donc légitimement en une composante essentielle
de l’environnement d’un conflit. Elle occupe le terrain médiatique. Elle n’est
donc ni un ersatz ni un effet de mode mais bel est bien une fonction
opérationnelle qui a gagné ses titres de noblesses dans les conflits récents.
Le présent article tentera d’expliciter la communication
opérationnelle, puis montrera la valeur ajoutée qu’elle apporte, en tant que
fonction opérationnelle, au contrôle de l’environnement et enfin abordera les
moyens nécessaires à l’optimisation de cette fonction en opération.
La communication opérationnelle
«
Quatre gazettes font plus de tort que 100 000 soldats en campagne »
Napoléon Bonaparte
Certes, la communication opérationnelle est limitée dans
l’espace et dans le temps mais reste une projection, sur le théâtre
d’opération, de la communication institutionnelle qui est la communication de
la Défense Nationale.
Tous les glossaires militaires usuels français, américains,
onusiens ou de l’OTAN, s’accordent à des variantes doctrinales près, à dire que
« la Communication opérationnelle est une action de communication destinée à
préciser le sens d’une opération pour sensibiliser et mobiliser les esprits,
gagner le soutien des opinions publiques et obtenir l’adhésion des forces
engagées…
Elle a pour but d’informer, d’expliquer, de persuader, de
légitimer et de faciliter l’adhésion de tous ceux à qui elle s’adresse sur des
bases d’information vraies.[4] »
Partie intégrante des prérogatives du commandement, la
communication opérationnelle est une fonction opérationnelle spécifique qui
vise à transmettre des informations sur une opération ou un exercice à un
certain nombre de cibles, soit directement soit indirectement, pour faire
comprendre le sens de l'opération ou de l'exercice et de lui donner l'image
souhaitée.
Elle s'adapte à chaque théâtre et aux différentes phases de
chaque opération.
En opération elle a pour but général de favoriser et maintenir
l’adhésion de tous les acteurs aux objectifs et aux modalités de l’opération.
Communiquer en opération ne relève pas d’un absolu, mais
s’inscrit dans une finalité commune globale, l’atteinte du volet militaire de
l'état final recherché (EFR).
Elle agit dans un cadre légal, vise des cibles bien définies
et utilise tous les vecteurs usuels.
Ainsi, son cadre est définit avec discernement par des
directives pour sauvegarder la vie du personnel, garantir la discrétion et la
sécurité de certaines opérations et préserver l'effet de surprise.
Ses cibles sont constituées par tous les acteurs
interférant, de près ou de loin, avec l'opération, ou intéressés par une
information à caractère opérationnel.
Ces cibles sont
généralement :
- Les décideurs politiques et militaires, nationaux ou étrangers ;
- Les organisations internationales (ONU, UE, OTAN, etc.);
- Les opinions publiques nationales et internationales ;
- Les « belligérants », qu’il s’agisse d’ennemis ou de forces en présence ;
- Les populations, autorités et organisations locales ;
- Les forces et les populations de la coalition, en cas d'opération multinationale ;
- Les forces armées et leur environnement (familles, unités).
Quant à ses vecteurs, ils se classent en deux groupes : Le premier, dépendant strictement de la chaîne de
commandement de l'opération (national ou multinational), comprend des moyens
spécifiquement militaires (publications, stations de radio, voire télévision,
site Internet…) utilisés par la force (nationale ou multinationale), sur ou en
dehors du théâtre, pour diffuser directement ses propres informations ; Le second, composé
essentiellement par les médias et les relais d’opinion. Il se caractérise par
sa totale indépendance vis-à-vis des logiques exprimées par la force (nationale
ou multinationale).
La communication opérationnelle ne peut être comprise sans
se rendre compte de la valeur ajoutée qu’elle apporte à la manœuvre pour
façonner l’environnement du théâtre et lutter contre la désinformation.
La valeur ajoutée de la communication opérationnelle
« NATO has to "sell"
itself far more actively than ever before. And this means that we have to
communicate far more than ever before -- among the Allies, with our Partner
countries, and with our publics [5]. »
Lord Robertson
La communication
opérationnelle est l'un des leviers de performance de la manœuvre militaire.
Elle permet de préparer l’action future, de soutenir la manœuvre en cours et de
justifier et mettre en valeur l’intervention qui s’est terminée.
Les médias de par leur fonction délibérative ne se content
plus seulement d’informer le public. Ils émettent souvent, des opinions et des
jugements, qui peuvent être préjudiciables à la manœuvre. Donc il faut en tenir
compte pour au moins avoir leur neutralité sinon leur soutien dans toutes les
phases de l’opération.
En effet en rendant le message de la communication
opérationnelle audible par ses cibles, le commandement militaire aura, en retour,
une adhésion aisée de toutes les parties prenantes de la manœuvre, une
préparation solide du terrain et une capitalisation des connaissances sur les
médias, fortement appréciables en cas de crise.
Le fait d’informer, d’expliquer et de convaincre tous les
acteurs de intention de la hiérarchie militaire d’une manière claire, permet
coordonner les actions de tous les maillons de la chaîne, d’avoir leur adhésion
et de surcroît de les rendre plus réactif. Et voire même d’identifier ceux qui
sont sceptiques ou qui sont contre la manœuvre envisagée, pour en tenir compte
dans la planification.
On ne peut agir sans dialoguer avec son environnement, et
normalement dès le choix de l’option stratégique, la communication doit
commencer en vue de la préparation du terrain et de l’accompagnement de
l’action. Ceci va faciliter la maîtrise du temps par l’envoi de messages ciblés
à la population et à l’opinion publique nationale et internationale. Car comme
le disait feu Sa Majesté le Roi Hassan II « de nos jours, l'opinion publique,
avec le matraquage constant de l'audiovisuel ou de la presse écrite, est plus
sensible à ce qui n'est pas clair qu'à ce qui l’est [6]. »
Le contrôle de l’environnement d’une manœuvre militaire
n’est pas une chose aisée. La liberté de pensée et d'expression et le rôle
déterminant des médias dans la couverture de toutes les opérations militaires,
justifient la nécessité d’avoir une communication opérationnelle.
En effet la présence accrue des médias sur le terrain a un
impact sur le déroulement des opérations en cours. Cette présence peut être
rentabilisée pour expliquer et convaincre l’opinion publique du bien-fondé, de
l’utilité, et de la légitimité des actions qui seront engagées par les forces
armées, des opérations en cour ou celles qui sont terminées. En outre, cette
préparation du terrain, assurera une bonne perception par l’opinion publique de
l’image des interventions de l’armée et agira favorablement sur le moral de la
troupe.
De même, façonner l’environnement de toute manœuvre militaire
exige, tout en respectant le secret de certaines informations, de communiquer
et de communiquer en temps réel, Car la communication ne tolère pas le vide.
Si vous ne communiquez pas, la partie adverse aura tout le
loisir de véhiculer de fallacieuses informations préjudiciables à la manœuvre
militaire. Et même si après coup vous démontrez avec preuve à l’appui que les
données publiées sont fausses et que les médias incriminés s’excusent
solennellement, le mal est déjà fait. Pire encore c’est une autre occasion
offerte à l’adversaire pour matraquer son message. Et comme, dans le champ
médiatique une information chasse l’autre votre version des faits, même appuyée,
reste inaudible.
Le fait de communiquer et d’une manière prompt et
professionnelle permettra à travers les mécanismes inhérents à la communication
d’identifier les relais d’opinion, les décideurs et les moyens des médias
existants. Cette proactivité engendrera de facto une capitalisation de
connaissances sur l’espace médiatique qui va aider à mieux appréhender les
solutions, de gagner en réactivité et
d’avoir une communication contrôlée en cas de crise.
Toutes ces rétributions possibles de la communication
opérationnelle ne sauraient être d’aucun apport appréciable pour les forces
engagées si celles-ci ne se dotent pas de moyens de communication adéquats.
Les moyens nécessaires pour mieux communiquer
«
L'Armée suisse dispose depuis 2004, et pour la première fois dans son histoire,
d'un concept général de la communication incluant des lignes directrices
stratégiques, des idées maîtresses, des directives organisationnelles et une
description des activités à tous les niveaux hiérarchiques [7]. »
Philippe Zahno
La communication opérationnelle si elle est impérativement
conçue et conduite en cohérence avec la politique de communication définie par
le haut commandement, elle ne doit son efficacité qu’au degré de son
intégration au processus décisionnel, à la réactivité de sa structure et à la
formation des communicants.
De nos jours le chef exprime son intention et son état-major
prépare la décision. Cette préparation suit un processus décisionnel bien
défini qui aboutit inéluctablement à des ordres clairs et réfléchis. La
présence des medias sur les théâtres d’opération doublée de l’évolution
technologique des moyens de transmissions modernes a imposé aux états-majors
des ajustements afin d’intégrer en temps réel, la communication opérationnelle
au processus décisionnel.
Cette intégration se traduit par l’introduction à toutes les
étapes de l’opération envisagée, du concept aux ordres les plus élémentaires
d’un volet communication, de la phase planification à la phase conduite.
Cet impératif ne se
conçoit que par le biais de la mise en place d’une stratégie de communication
basée sur une structure technique idoine capable de décliner l’idée de manœuvre
en actes de communication tout le long du spectre opérationnel.
La structure en question repose, au niveau stratégique, sur
une entité chargée de la communication institutionnelle définissant la
politique générale d’information et de communication des forces armées,
coordonnant les actions des différents organismes de communication de défense
et assurant, par ailleurs, la cohérence avec les autres ministères, ainsi
qu'avec les instances internationales militaires.
Au niveau opératif,
c’est une structure qui, incarnant le passage d’une communication à caractère hiérarchique
à une communication à caractère fonctionnel, se charge de communiquer au plus
près du théâtre d’opération. Elle est ainsi en mesure de réagir rapidement, de
pouvoir promouvoir et entretenir la légitimité l’action entreprise par l’armée
et de fournir aux médias locaux des informations fiables et dans des délais
raisonnables. Et par ailleurs, elle fait remonter aux échelons supérieurs des
analyses sur l’environnement médiatique du théâtre d’opération.
Alors qu’au niveau tactique c’est une organisation en mesure
de rendre compte de fait technique ou de fournir des rapports circonstanciés
qui éclairent de manière crédible l’opinion publique.
Selon la revue militaire suisse, « le total des
professionnels de la communication au sein de la Défense (communication interne
et externe, production, instruction) est de 53. Souvent l'objet de critiques,
ce chiffre est en fait extraordinairement bas en comparaison internationale :
140 professionnels en Autriche, 400 en Italie, 1400 en France et 1500 en
Allemagne. Bien que les organisations ne soient pas directement comparables,
ces chiffres donnent des indications sur les moyens à disposition de la
communication des armées [8]. »
Si les organigrammes et les effectifs varient d’un pays à un
autre, nul ne peut s’ériger en communicant sans avoir au préalable reçu une
formation pour parler au public au nom de l’armée.
Effectivement, la formation et l’intégration au processus
décisionnel sont les clés de la réussite de la communication opérationnelle.
Cette formation, est introduite, pour l’ensemble de la troupe sous forme de
modules spécifiques à chaque niveau, tenant compte du grade et de l’autorité du
militaire, et aux professionnels de la communication par une formation solide
et adéquate.
Nonobstant, cette ouverture sur le monde extérieur de la
communication opérationnelle, des directives de communication sont nécessaires
pour fixer les limites des communicants et des intervenants autorisés, à tous
les niveaux, pour éviter de mettre en péril l’opération envisagée ou de mettre
en danger la vie des hommes.
Grâce à cette valeur ajoutée, une bonne stratégie de communication
augure bien de la réussite de la mission. Cette stratégie tout en agissant pour
promouvoir et entretenir la légitimité l’action entreprise par l’armée, fournit
aux médias des informations digne de foi, précises et dans des délais
raisonnables pour façonner l’environnement médiatique concerné par le théâtre
opérationnel.
En somme, la communication opérationnelle se définit comme
étant la communication relative aux opérations militaires, conçues planifiées
et conduites par les États-majors. Elle constitue à l’ère des TIC le moyen
adéquat pour façonner à son profit l’environnement du théâtre d’opération.
De ce fait, elle apporte une valeur ajoutée indéniable à la
manœuvre militaire en la dotant de
moyens de communication consolidant l’adhésion de tous les acteurs opérant sur
le champ de manœuvre et facilitant la connaissance du terrain et de l’espace
médiatique.
Si elle reste l’affaire des spécialistes. Elle se doit être
inexorablement intégrée au processus
décisionnel, enseignée à tous niveaux, et
détentrice d’une stratégie, d’une structure et de moyens qui lui
permettront de planifier et de gérer la communication en temps de paix et en
temps de crise.
Elle s’érige de facto en un rempart de poids pour contrer
les capacités de nuisance médiatique de l’adversaire. Elle s’impose donc
légitimement en tant que fonction opérationnelle dans toute intervention
militaire sur un théâtre d’opération.
« Dans les sociétés modernes la disponibilité et la fluidité
de l’information sont considérées comme le moteur de l’évolution. Si
l’information circule mal, la société se grippe. Il faut bien comprendre que
pour l’homme moderne le flux d’informations continu et fiable est un besoin
vital. A défaut, il se trouve dans la nécessité de rechercher l’information à
tout prix. Ce qui donne la possibilité aux canaux les moins sûrs, à la rumeur,
au ouï-dire de se développer et de s’installer.
Dès lors, une société soumise à ces mécanismes n’avance pas.
Elle recule. Pire encore, elle devient la proie facile de toutes sortes de manipulations
[9]. »
Mustapha DAFIR,
Col (ER)
[1]
Fondateur du groupe Lagardère dans la défense et les médias.
[2]
Il y a quelques années, l'International Communication Association identifiait
Chester Barnard comme le plus important précurseur de la communication de
gestion. Wikipedia.
[3]
Pascale Combelles-Siegel chercheur du Centre d'Etudes et de Recherches Sur
l'Armee de l’Institut d'Etudes Politiques de Toulouse et du Center for
International Security Studies de l’University du Maryland. La communication opérationnelle et les
opérations multinationales : comparaison des doctrines et pratiques
américaines, britanniques et françaises. Fondation pour la recherche
stratégique (FRS)
[4]
Extrait du document d’enseignement du CREMS « la communication » du même
auteur.
[5]
Du discours du Lord Robertson, Secrétaire Général de l’OTAN, 23 avril 2001
[6]
J.A. n° 1299, paru le 27 novembre 1985.
[7]
Philippe Zahno revue militaire suisse décembre 2006,
http://www.revuemilitairesuisse.ch
[8]
Ibis
[9]
Abdelmounaïm DILAMI Edito Assabah du 04/03/2011
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